arsinoeduponchel
La Danse de Shiva
Ce poème a été envoyé au grand prix du court 2023. Vous pouvez le retrouver sur leur site à cette adresse : https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/la-danse-de-shiva
La Danse de Shiva
C’est une mendiante qui appelle
Du haut des champs de crémation
On raconte qu’on la possède
Ou qu’elle a perdu la raison.
« J’appelle les ancêtres, dit-elle.
J’appelle le chant de l’Univers.
J’appelle la mélodie des entre-deux
Celle où morts et vifs se rejoignent. »
Le tissu des saris crisse
Comme du papier froissé.
« J’ai soufflé sur le monde avec mes paroles d’argent
Et j’ai dessiné des pentacles.
Mais, sous ma main, seul est sorti le serpent. »
« Mon front est recouvert du ghee
Et de la poudre blanche des morts.
O Shiva, Shiva, je t’implore. »
Agenouillée sur des cadavres
Et à la bouche des écumes
Elle vit aux rives de la folie, là où
Ne s’aventurent guère
Ceux que le sacré dévore
Et qui abhorrent la lumière.
Mais,
Son apparence
Est celle des ténèbres.
Yeux fixes qui ne cillent pas. Elle attend.
Au sol,
Un yantra souffle la poussière
Qui la protège des démons
O Shiva Shiva je t’espère.
Montagnes de fleurs sur son passage
Les morts s’avancent et ne se ressemblent pas
Et toujours la graisse coule
Du même corps mis à rôtir.
Nous sommes dans la cage à rats.
La tête lourde et les pleurs
Gémissements des familles en deuil
Un a passé, l’autre sera,
Tout à l’absolu un jour retourne.
« Varanasi, ton ciel a vu mourir les vivants et revenir les morts.
Assise dans ton corps je prie.
Assise dans ta tête je pleure.
S’il faut mourir pour renaissance
La mienne y aura lieu cent fois
Et des fragments qui se détachent.
De qui voulais-tu que je sois ? »
Rituel
Pénitence
Elle vénère Shiva
Le corps nu couvert de cendre.
C’est obscène, c’est vulgaire
Elle tire la langue aux voyageurs
Comme une gargouille de l’Ancien Monde
Elle a toujours été là
Et que celui qui soit
Assez courageux pour surmonter la peur
Vienne se pendre
Aux rives
De son silence.
La cendre est mille fois préférable à la chair brûlée.
Quand on lui demande si elle est sorcière,
Elle éclate d’un grand rire froid
Et tire la langue aux promeneurs.
« Les gens s’en vont,
Les gens s’en viennent
Et moi je vis avec les morts
Car les morts m’apprennent la vie
Pour toi l’Europe, est-ce chose étrange ? »
Sourire blanc et murmure des feux
Parfois elle chante.
Et ses prières
Tirent des larmes aux pénitents.
« Je suis là pour lui toujours
Et depuis des siècles j’attends
Et cette vie encore je chante
Pour que Tes yeux, O Bien-Aimé
Daignent se porter sur cette femme.
Et si j’ai embrassé la mort
C’est qu’elle me faisait peur
Car c’est là que tu résides
Et sectionnes nos destinées
Pour toi Shiva, je vis encore
Et pourtant je ne suis pas née. »
« Un jour peut-être avec le temps
Un rideau de cheveux blancs au visage
Tu marcheras près de mes pas
Et je te retrouverai encore.
En attendant Shiva, fidèle,
Je suis la voie qui m’est tracée
Daigne regarder celle qui t’aime
Au dur passé de condamnée. »
Mais dans la frénésie furieuse
Alors que, dans les fumées et les vapeurs
La femme en transe se convulse
Les passants ont juré voir une ombre
Qui depuis longtemps était là
Et quand la folle s’est mise à rire
L’ombre l’a prise entre ses bras ;
Ses yeux sont devenus de flammes.
Et tourne la danse de Shiva.