arsinoeduponchel
Méditation Métaphysique
Je n’aurais jamais dû rentrer d’Inde.
D’abord, parce que Paris, c’est moche. Il fait froid. Les gens ne sont pas sympas. Mes amis sont nuls. La promotion de mon album ne va pas assez vite. J’en ai marre de devoir faire des trucs chronophages comme commenter sur des blogs. Donc je ne le fais pas. Donc rien n’avance. Donc retour à la case départ. En plus je n’ai pas de travail.
Je vais finir toute ma vie chez mon père ou quoi ?
Non, sérieusement, ça craint. Rien ne va comme je veux.
Et puis, j’ai plus confiance, voilà. En Inde c’est tous des exploiteurs. Le monde est pourri.
En plus je ne me marierai jamais et je n’aurai jamais d’enfants. Personne ne se souviendra jamais de moi si je ne fais pas un truc vite.
C’est nul, j’ai la pression.
On était mieux dans mon monastère.
Je soupire profondément et regarde mon téléphone. 15h30. Un appel en absence ; c’est ma meilleure amie qui m’invite à une séance de soins chamaniques.
Non, c’est gentil mais on repassera, là. Je ne suis pas d’humeur.
Je m’assieds sur mon lit et je médite.
Non, parce que dans des cas comme ça sévères de déprime, ça veut dire que c’est grave. J’ai besoin de sortir les grands moyens.
Automatiquement, la prière des supplications s’active.
« Dieu s’il te plaît si je pouvais gagner au loto pour continuer à vivre sans rien faire, parce que je n’ai vraiment pas envie de trouver un travail en ce moment, en plus il faut chercher et se vendre, tout ce que je déteste. Non mais c’est entendu, que je suis la meilleure, pour n’importe lequel de leurs foutus jobs, et ils devraient tous ramper à terre devant moi pour que je condescende à vendre leurs produits minables... »
C’est sûr, Dieu me punit en restant en France.
Je soupire et je pleure et je me lamente sur moi-même. Tout cela dure bien une heure ou deux. Puis je me relève.
Je suis dans ce moment de ma vie où je ne sais pas quoi faire et où j’ai peur de tout. Peur des autres, de la vie, peur que tous mes projets ratent. Quand on a un job bien précis à faire, c’est simple. Partir d’un point A pour arriver à un point B, et suivre un protocole.
Je n’ai pas de protocole dans ma vie.
Alors oui, il y a bien tous ces trucs que je fais pour rester à flot tant bien que mal. Voir des amis, écrire des lettres, faire de la musique. Rechercher des contenus web.
Tout ça ne paye pas. Tout ça ne me paye pas. Mon capital diminue à vue d’œil. J’ai peur de manquer de fric et de devoir mendier pour vivre.
Si c’est ça je me tuerai.
Est-ce que je vais finir ma vie dépressive ? En Inde j’étais tellement accablée par le travail à faire que je n’avais pas le temps de penser. C’était bien mais un peu éprouvant à la fois, surtout pour mon corps. Ici au moins je suis tranquille. Personne ne me demande de soulever des sacs de 100 kilos de grains.
Je regarde autour de moi. C’est comme si, pour la première fois, je voyais réellement ma chambre.
Quand on crache tout ce qu’on a à dire, et l’arrogance et les peurs et le manque d’amour et la solitude… Ben ça va beaucoup mieux. De toute façon on est toujours seul dans une certaine mesure. Seul face à soi-même.
Alors je décide de plonger encore plus profond.
Je ne conseille à personne de faire ça, parce que rester trois heures en méditation assis par terre, c’est assez douloureux. Et puis parfois on a faim. Et puis on trouve le temps long.
Et puis, bien sûr, sans discipline, on n’y arrive pas.
Je ferme les yeux, redresse le dos comme on m’a appris à le faire en Inde, et je me mets à chanter mon mantra. C’est juste une mise au point, pour voir. Pour dépasser mes blocages. Pour comprendre ce que je fais de ma vie.
Et n’allez pas croire que je vais voir la Vierge ou des trucs comme ça : quand je médite, je ne vois rien. Mais parfois, je me sens très mal.
Je plonge dans le néant du vide, et j’attends.
J’attends longtemps, parce que je cherche toujours à entendre la voix de mon maître.
Bien sûr, je ne l’entends pas.
« Concentre-toi sur ta respiration Ajan’. »
Okay… On y va.
« Respire. »
Est-ce que c’est parce que je fais un jeûne que toutes mes peurs remontent ? Mon corps est sûrement impacté par ce changement brutal de régime.
« Respire. »
Je reviens à moi.
C’est fou le nombre de pensées qu’on peut avoir en moins d’une minute.
« Respire. »
Un, deux, trois, quatre, un deux, trois, quatre…
Om ham haum shivaya namah…
Je souffle profondément.
Quelque chose en moi lâche.
Je n’ai peut-être pas besoin de stresser autant.
« Respire. »
Je respire.
Je pense à mon maître, resté en Inde, et à toutes les tentatives d’assassinat qui ont été lancées contre lui. Je me dis qu’il a de la chance d’être encore en vie. Je suis heureuse qu’il soit encore en vie.
Om ham haum shivaya namah.
Je pense à mon dieu qui inspire les indiens à se promener tout nus dans la rue, le corps couvert de cendre, et à méditer assis sur des cadavres pendant des nuits et des jours.
Om ham haum shivaya namah.
Je pense à l’état de l’Inde, à ses montagnes d’ordures, à ses enfants affamés, à ses politiques sociales inexistantes. Et je pense aux docteurs qui ont soigné ma main coupée.
Om ham haum shivaya namah.
« Tu sais, où que tu sois, tout n’est qu’une création de ton mental. Que la peur soit ici où là-bas, c’est la même. »
Je soupire.
J’ai de la chance d’avoir des gens qui m’aiment. Dans les deux pays.
Je voudrais leur dire plus souvent que je les aime.
« Respire. »
Merci.
Merci d’être avec moi, quelles que soient les situations de ma vie, et même si c’est dur, parce que je sais que ce ne sont que des impressions… Et vous, de vous voir à mes côtés, ça me donne du courage.
Le temps commence à s’écouler différemment. J’entre dans un autre espace.
Progressivement, les pensées se taisent, ne laissant parfois que quelques bulles de savon qui remontent à la surface. Des bulles qui éclatent, puis se dissipent.
Assise dans la posture de l’observateur, je les regarde.
« C’est au travers du pire que l’on peut trouver le meilleur », disait un vieux sage indien proche de mon maître, je ne me souviens plus de son nom.
Il fait froid, quand même. Je sais bien qu’on est en décembre, mais ce n’est pas une raison.
« C’est que les énergies recommencent à circuler. »
C’est vrai, apprendre à vivre par soi-même cela demande du courage.
Parce qu’on n’existe plus uniquement pour les yeux d’autrui.
On existe aussi en vrai, en soi, très fort.
Cela peut mettre la pression parfois.
Et faire hésiter sur le chemin à suivre.
Dans ces cas-là, mon maître répète souvent la phrase suivante : « Quand tu sens que ton pouvoir diminue, alors ne prends pas de décisions hâtives. Prends ton temps. Laisse le calme venir en toi. Et alors, tu pourras décider de ton avenir. »
Moi, je suis comme un guépard : je me précipite.
Mais après le sprint, je ne tiens jamais longtemps.
« Patience, mon cœur. »
C’est long d’attendre.
Surtout quand on n’est pas habitué.
Om ham haum shivaya namah.
Je me souviens des mantras qu’on chantait à l’ashram. J’aimais bien chanter.
J’aimais bien les gens là-bas. Quand ils n’étaient pas focalisés sur autre chose. Sur des tâches énormes qui les stressaient.
Bien sûr c’était pour les faire progresser.
On est tous en vie pour progresser.
Progresser vers quoi, je ne sais pas. Vers la lumière, et vers la vérité. Vers Dieu. Et puis sans doute, vers la découverte de nous-mêmes, vers la paix intérieure et avec les autres, et vers l’amour.
Un programme comme ça, ça me plaît bien en vrai.
Je rouvre les yeux sur ma vie de tous les jours.
Sur mon téléphone posé à côté de moi, il y a un appel en absence. C’est ma meilleure amie qui m’invite à une séance de soins chamaniques.
Ma meilleure amie est une chamane.
Qui peut s’enorgueillir de dire ça aujourd’hui ?
Je souris à part moi en lui écrivant une réponse.
« C’est génial tout ce que tu fais. Je t’admire beaucoup. Et je suis heureuse de voir que tu es en train de grandir. Moi, en ce moment, j’apprends aussi beaucoup de choses avec toi, depuis que je suis rentrée en France. J’ai un peu peur des soins chamaniques, et puis j’ai des problèmes d’argent. Donc s’il te plaît, vas-y sans moi. Mais raconte-moi comment c’est ! J’aurai peut-être moins peur…
Je t’embrasse tendrement. »
Bon… Je n’avais pas un site internet à créer pour mes chansons, moi ?
Un sourire.
On est en décembre ; il fait froid ; c’est le pays de Jésus et pas du tout de Shiva.
Mais c’est bien aussi comme ça.
Texte paru sur le calendrier de l'Avent 2022 de Literharry sur Wattpad. Sa page : https://www.wattpad.com/user/-literharry