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Un jour ordinaire dans la vie d’une guérisseuse

Bonjour à tous,

Ci-dessous un texte que j'ai envoyé pour un appel à textes sur le sujet d'Halloween. J'ai décidé de le revisiter à ma façon... Avec une histoire qui pourrait, peut-être, vous arriver !


Bonne lecture... ;)



« Un bonbon ou un sort ? »

J’ai lancé un regard glacial au morveux mal déguisé qui avait osé me sortir cette phrase cent fois rebattue.

Je déteste Halloween.

D’abord, parce que c’est une fête commerciale, ensuite parce que c’est une fête mercantile, et enfin parce que c’est une fête superficielle.

Et puis, parce que ce n’est pas du tout respectueux du culte des ancêtres. Tout ça pour se goinfrer de sucreries…

Si Léonie la Légende, la femme-médecine la plus célèbre de la famille, entendait ça, elle se retournerait dans sa tombe.

Des fois, je me demande ce que les enfants d’aujourd’hui ont à la place du cerveau. Personne ne s’est jamais interrogé sur les traditions d’Halloween ? Personne ne s’est jamais dit qu’il y avait peut-être une meilleure chose à faire ce jour-là que d’aller taper des bonbons à la mémé du palier voisin ? Quelque chose qui justifie toutes ces histoires de fantômes ?

Quelque chose comme des ancêtres oubliés, par exemple ?


Car oui, au risque de vous choquer, je crois aux esprits des ancêtres. C’est une tradition dans la famille : de mère en fille, on travaille avec eux pour guérir. Ma mère était guérisseuse, sa mère était guérisseuse avant elle et c’est comme cela sur au moins six générations. Ce qui fait que je suis la septième de la liste.

On pourra y voir une coïncidence si on le souhaite. Ma mère disait cependant qu’elle avait rarement vu une femme aussi douée que moi pour guérir, même parmi ses disciples ; et qu’il fallait remonter à son arrière-arrière-arrière-grand-mère, la fameuse Léonie, pour trouver quelqu’un qui ait des pouvoirs de guérison comme les miens. « Et un sens de l’humour aussi déplorable », me répétait-elle toujours, quand je lui parlais des personnes que j’avais réussi à « guérir » de leurs addictions, le plus souvent en leur donnant la peur de leur vie – ou un bon rhume.

« Félicie, tu ne peux pas continuer à faire des blagues toute ta vie. Que vont dire les ancêtres ? » avait-elle coutume de me demander lorsqu’elle me faisait la morale devant les portraits de la lignée. Mais je ne l’écoutais pas et je lui répondais par un grand sourire. Il faut dire que les ancêtres m’avaient éduquée comme ça !


Lorsqu’à six ans je priais en cachette les esprits pour me libérer de l’envie et de la jalousie que je ressentais envers ma meilleure amie, une certaine Martine, que je jugeais bien plus belle et populaire que moi, je savais que cela se terminerait la tête dans les toilettes, à régurgiter mon petit déjeuner. Mais je ne m’étais jamais plainte de ce traitement de choc : la purge par la maladie, je le savais bien, était le prix à payer nécessaire pour aller mieux ensuite. Et je préférais mille fois cela à rester jalouse toute ma vie. Et cela marchait ! Cela marchait même si bien que je recommençais les prières, et demandais l’aide et la bénédiction des ancêtres pour tout et n'importe quoi.

En réponse à mes prières, les esprits m’ont appris comment soigner les maux de mon âme, de mon corps, et encore bien d’autres choses. Par exemple, comment cueillir les feuilles de laurier pour qu’elles acquièrent des propriétés anti-congestion, ou comment préparer la lavande pour en faire un remède souverain contre la dépression et la léthargie.

Bien entendu, aujourd’hui, plus personne ne connaît ces méthodes ; mais pour les avoir testées plusieurs fois, sur moi-même tout d’abord, puis sur les autres lorsque leurs protocoles me devenaient familiers, je peux vous assurer qu’elles marchent ; et personne parmi mes clients ne s’en est jamais plaint.


Pour éviter les coliques et les nausées, cet apprentissage a pourtant un prix : la discipline. Il faut, enfant, consentir à entendre des voix et à faire ce que les ancêtres vous ordonnent. Il faut passer de longues nuits sans sommeil à apprendre les propriétés des pierres et des plantes. Il faut sortir en forêt en plein cœur de l’hiver pour faire ses récoltes. Et surtout, il faut apprendre à se regarder soi-même, son comportement, ses actions, et ses défauts qui nous mènent parfois par le bout du nez. Par exemple, j’ai tendance à être un peu vaniteuse, et je suis très sensible à la flatterie. Ce n’est pas franchement plaisant à reconnaître. Mais c’est comme ça.

Et ce n’est qu’en pratiquant cette introspection sur nous-mêmes que nous en venons à connaître nos forces et nos faiblesses, à valoriser les unes et à corriger les autres, et à devenir quelqu’un de plus fiable, pour nous-mêmes comme pour les autres.

Si aujourd’hui j’ai acquis ce niveau d’excellence dans ma pratique, c’est en grande partie grâce à cette discipline de vie.


Car on ne peut pas faire n’importe quoi avec les esprits des ancêtres. Une seule erreur, et vous pouvez offenser un esprit pour toute la vie – la vôtre ! Et, laissez-moi vous dire que ce n’est vraiment pas agréable d’être poursuivi par la malchance chaque fois que l’on s’admire dans la glace. Mon nez retroussé en a fait les frais. Aujourd’hui encore, je ne passe pas devant un miroir sans demander la bienveillance de mon arrière-grand-père Jean -que j’ai osé offenser dans un rituel en mangeant la nourriture destinée aux ancêtres avant qu’elle ne leur soit offerte.

Non, il faut faire attention quand on joue avec les forces occultes de la lignée ; même si elles veulent, fondamentalement, notre bien. Après tout, quel ancêtre ne souhaite pas que son descendant soit heureux ?

Vous verrez d’ailleurs que, si l’on effectue les rituels appropriés pour leur témoigner notre respect et notre gratitude, les ancêtres sont le plus souvent prêts à nous soutenir et à nous accompagner. C’est grâce à eux, par exemple, que j’ai rencontré mon mari en allant fleurir les tombes, et encore grâce à eux que ma petite dernière, Lucie, a surmonté la coqueluche infantile en parlant à sa « tatie Simone », qu’elle voyait assise dans le jardin.

Et, si la malédiction des ancêtres est quelque chose de terrible, leur bénédiction est quelque chose de merveilleux.


C’est pour cela que, quand les enfants de la voisine sont venus frapper à ma porte pour me demander – non, pour exiger ! – de quoi ruiner leur dentition et leur cervelle, mon cœur s’est un peu serré. Je voyais derrière eux tous leurs ancêtres oubliés qui s’agitaient, et qui leur parlaient à l’oreille dans l’espoir d’être enfin entendus. Tous leurs ancêtres oubliés qui se sentaient trop seuls. Et ces enfants, ces enfants innocents qui étaient les derniers de leur lignée, ne s’en étaient pas rendus compte. Alors, j’ai décidé de les aider.

« Je peux vous donner des bonbons, ai-je dit, mais à une seule condition. Vous devez me promettre que vous les partagerez avec vos ancêtres morts. »


Le plus mal déguisé des deux m’a lancé un petit regard de brute.

« On partagera rien ! C’est pas la peine d’essayer de nous faire peur, m’dame, les morts ça n’existe pas. »

- Oh, tu crois ? Lui ai-je demandé avec un sourire, en priant mentalement pour donner à ce garnement une bonne leçon bien méritée.

J’ai entendu un petit rire.

Puis j’ai senti la présence de mon arrière-grand-mère à mes côtés.

« Alors, Félicie, on leur flanque une bonne colique ? »

- Pourquoi pas, ai-je répondu mentalement, trouvant l’idée intéressante, mais j’aimerais qu’ils puissent d’abord aider les ancêtres avec lesquels ils sont reliés.

J’ai plongé la main dans ma poche et ressorti deux bonbons.


« Je vous propose un marché, ai-je dit aux enfants. Prenez ces bonbons et allez les disposer sur une petite assiette, dans votre chambre, avec une bougie, de l’eau et du sel, en vous adressant mentalement à vos ancêtres et en leur disant que c’est pour eux. Si d’ici demain rien ne se passe, alors vous aurez gagné et je vous achèterai moi-même sept paquets de bonbons.

Mais si d’ici demain quelque chose d’étrange, ou de bizarre, ou d’inhabituel arrive… Alors c’est moi qui aurai gagné et vous devrez me promettre de respecter les morts de votre famille. »

Le plus gros des deux a hoché la tête.

« Moi ça me va, madame, je veux bien sept paquets de bonbons. Kevin ne vous le dira jamais mais c’est lui qui a le plus peur des morts… Aïe ! »

- Tais-toi ! lui a sifflé la petite brute en me raflant les bonbons des mains. J’espère que vous avez beaucoup de sous, madame, parce qu’on prendra les bonbons les plus chers !

Puis il s’est enfui dans la cage d’escalier, en tirant son frère à sa suite.


J’ai refermé la porte et je suis allée dans le salon prendre un thé avec le fantôme de mon arrière-grand-mère, qui passait déjà des coups de téléphone d’esprit pour faire en sorte de donner aux garnements la peur de leur vie.

« Pas trop dur, quand même », ai-je protesté en les entendant parler de gastro-entérite avec animation. « N’oubliez pas que ce ne sont que des enfants… »

Mon arrière-grand-mère a souri avec l’air le plus innocent du monde. Ma mère me dit souvent que je tiens d’elle, encore aujourd’hui. Elle a le même air malicieux que moi lorsque je m’apprête à faire une bêtise.


Puis des coups redoublés ont frappé à ma porte et je suis de nouveau allée ouvrir.

« Tiens, mais c’est toi ! » Ai-je fait au gros garçon terrifié qui me faisait face.

- Madame, il faut que vous aidiez mon frère, il s’est étouffé avec un bonbon ! Maman veut appeler le docteur, mais moi je sais que c’est vous, c’est parce qu’on ne croyait pas à vos histoires alors vous nous avez jeté un sort ! S’il vous plaît aidez-nous !

J’ai pris mes grands yeux noirs d’orage et j’ai convoqué les esprits.

- Rentre chez toi, petit, celui qui a fait ça vous a fait une bien mauvaise blague, à toi et à ton frère. Dis-lui dès qu’il ira mieux de rendre ce qu’il doit à son grand-père paternel. Et dis-lui de s’attendre à vomir pendant deux jours. Après ça il n’aura plus jamais de problèmes de cœur de sa vie.

- Hein ? Quoi ? Des problèmes de cœur ? Mais je croyais que c’était un sort ? Et comment vous savez que…

- Cela n’a pas d’importance. Maintenant rentre vite et va aider ton frère. Il a besoin de toi. Moi, je vais prier pour ton grand-père.


La porte s’est de nouveau fermée et je suis allée chercher du sel, de l’eau, un morceau de papier et de la résine odorante. Le rituel est secret et je ne le raconterai pas ici, mais ce que vous devez savoir, c’est qu’il existe parfois dans le monde des ancêtres des esprits extrêmement maladroits qui ne savent plus communiquer avec les vivants. Et que ce rituel vise à leur donner les moyens de pouvoir de nouveau rentrer en contact avec eux de façon saine et inoffensive.

Quant à ceux qui ont donné à ce pauvre grand-père la mauvaise idée de flanquer une crise cardiaque à son petit-fils, ils se sont sérieusement fait remonter les bretelles. Car certes, on ne plaisante pas avec les morts, mais on ne plaisante pas non plus avec la vie.

« Pardon Félicie, on ne le refera plus. »

Quand même… C’est un comble. Dire que certains ancêtres manquent parfois du sens des responsabilités !


J’ai soufflé sur les cendres. L’après-midi commençait à avancer, et j’avais encore bien des choses à faire. Des choses de guérisseuse, bien entendu, mais aussi des choses toutes simples comme ranger, passer l’aspirateur et préparer le repas du soir. Ce n’est pas parce que l’on est en contact avec les esprits des ancêtres que l’on est complètement déconnecté de la réalité. En vérité, ce serait même plutôt le contraire. Je vais vous dire un grand secret : on reconnaît les vrais maîtres de sagesse à leur implication et à leur activisme dans le monde. Pensez-y la prochaine fois que vous rencontrerez un mystique douteux !

Quant aux garçons, ils s’en sont sortis, bien sûr. Je leur ai même appris à parler aux esprits. Mais ceci est une autre histoire…


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